• L'Union pour la Méditerranée, un essai à transformer

    par Yves Clarisse

    BRUXELLES/PARIS (Reuters) - Chance historique de créer une zone de prospérité et de paix ou nouveau "machin" voué à l'échec, l'Union pour la Méditerranée (UPM) sera portée dimanche sur les fonts baptismaux dans une atmosphère de doute.

    Pour les autorités françaises, inspiratrices du projet, le succès est déjà au rendez-vous avec la tenue du sommet.

    "Le premier succès de l'Union pour la Méditerranée est que cette idée a déjà au moins fourni l'occasion de mettre tout le monde autour de la table", sauf la Libye, déclarait vendredi un des artisans de ce sommet, proche du président Nicolas Sarkozy.

    "C'est déjà une énorme victoire, c'est déjà une énorme contribution à la reprise du dialogue, à la recherche d'un chemin vers la paix", a-t-il ajouté.

    Quarante-trois pays seront représentés - les Vingt-Sept de l'Union européenne, 12 membres du processus de Barcelone lancé en 1995 pour rassembler les deux rives de la Méditerranée ainsi que la Bosnie, la Croatie, Monaco et le Monténégro.

    Seul le numéro un libyen Mouammar Kadhafi, hostile à une UMP élargie à l'ensemble des pays de l'Union européenne, boudera ce sommet. Selon l'Elysée, sauf coup de théâtre, il n'enverra aucun émissaire à Paris.

    Cette absence n'attristera cependant pas trop les dirigeants européens, Kadhafi s'étant répandu en critiques au vitriol contre un projet "effrayant" et "dangereux" qui contraindrait ses membres arabes à accepter l'existence d'Israël.

    Nicolas Sarkozy a bataillé pour obtenir la présence de la plupart des dirigeants arabes, dont le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le président syrien Bachar al Assad et le président algérien Abdelaziz Boutefkika dans la même salle que le Premier ministre israélien Ehud Olmert.

    Même le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, qui se méfie d'une initiative proposée par un pays qui ne veut pas de la Turquie dans l'Union européenne, sera au Grand Palais.

    UNE VOIE VERS LA PAIX

    Pour le président français, le sommet de Paris va relancer les perspectives de paix dans la région.

    "Jusqu'ici, l'Europe au Proche et au Moyen-Orient, c'était beaucoup d'argent, beaucoup de moyens et quand même un poids politique mince pour ne pas dire insignifiant par rapport au poids des Etats-Unis", a-t-il souligné jeudi devant les députés européens à Strasbourg.

    Le sommet de Paris lancera quelques grands projets, comme la dépollution de la Méditerranée, les "autoroutes de la mer", la coopération en matière de protection civile pour la lutte contre les catastrophes naturelles, le développement de l'énergie solaire, l'éducation, l'aide à l'installation des PME et la sécurité alimentaire.

    Même si ces projets étaient pour beaucoup déjà prévus, tout comme l'objectif d'une zone de libre-échange pour 2010, la nouveauté viendrait des sources de financement diversifiées, et notamment de l'implication du secteur privé et des fonds souverains des émirats du Golfe, ainsi que des coopérations au cas par cas pour éviter trop de bureaucratie.

    La principale innovation est d'ordre institutionnel pour que le Nord ne donne pas l'impression de dicter sa volonté au Sud mais qu'il s'agit d'un véritable processus géré en commun.

    Ainsi, l'UPM aura deux coprésidents, un du Sud et un du Nord, pour une période de deux ans.

    Le président égyptien Hosni Moubarak a déjà course gagnée pour la co-présidence réservée au Sud et, au moins dans un premier temps, Nicolas Sarkozy sera le premier président pour le Nord parce qu'il assume pour l'instant celle de l'UE.

    La localisation du secrétariat qui sera chargé de piloter l'UPM ne devrait pas faire l'objet d'un accord à Paris - la France pense à Tunis mais Malte et le Maroc sont également candidats - et un "comité de direction" composé de représentants du Sud et du Nord basé à Bruxelles lui sera adjoint.

    SCEPTICISME

    Les sceptiques font la moue.

    Ils estiment que les problèmes qui ont constamment empêché le processus de Barcelone ne disparaîtront pas par enchantement.

    L'absence de progrès dans le processus de paix au Proche-Orient risque ainsi de saper la coopération et le projet de déclaration du sommet de Paris le démontre clairement.

    Toutes les références à "la fin de l'occupation" des territoires par Israël, la création d'une région "libre d'armes de destruction massive", notamment nucléaires, au respect des engagements pris selon les conventions internationales de protection des droits de l'homme sont entre crochets et disparaîtront dans la version finale, selon des diplomates.

    L'appellation - "Processus de Barcelone: Union pour la Méditerranée" - qui a été retenue démontre son ambiguïté.

    La France qui voulait initialement limiter le périmètre de l'UPM aux seuls 22 pays strictement riverains de la Méditerranée, plus le Portugal, la Jordanie et la Mauritanie, a dû se soumettre aux exigences de l'Allemagne, principal investisseur de l'UE dans le Sud de la Méditerranée.

    Le "processus de Barcelone", qui a déjà permis de signer des accords de libre-échange avec des pays comme la Tunisie, aurait selon Berlin été affaibli par ce projet et tous les Vingt-Sept seront désormais impliqués dans le processus.

    Les ambitions divergentes des pays du Sud de la Méditerranée - Israël veut être à la table européenne, l'Algérie et la Lybie n'ont pas besoin de fonds européens grâce à leur manne pétrolière, au contraire des pays pauvres comme l'Egypte - risquent aussi de mettre à mal la cohérence du projet.

    Mais, même à la Commission, on s'accorde à dire que l'initiative de Sarkozy peut réveiller un processus dormant.

    "Cela va donner une visibilité politique que nous n'avons pas, que nous n'avons pas réussi à donner", y dit-on.

    Un ambassadeur arabe note lui aussi qu'il fallait donner un coup de fouet à une coopération sans nerf et où les pays de la Méditerranée étaient considérés comme quantité négligeable.

    Ainsi, le Maroc et ses 30 millions d'habitants, qui traversent souvent le détroit de Gibraltar au risque de leur vie pour gagner l'Eldorado européen, se sont-ils vu attribuer entre 2000 et 2006 650 millions d'euros, alors que dans le même temps, la Bulgarie et le Roumanie, qui réunissent le même nombre d'habitants, en ont reçu 44 milliards avant leur adhésion.

    Avec Emmanuel Jarry à Paris



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