• Hébergée par "Libération", l'équipe de "Charlie Hebdo" se remet au travail

    Charlie Hebdo ne sera pas resté à la rue plus d'une matinée. Peu après 13 heures, l'équipe de l'hebdomadaire satirique rejoint le huitième étage du journal Libération, rue Béranger, dans le IIIe arrondissement de Paris. Dans la salle où se déroule habituellement la conférence de rédaction de Libé, les plumes de Charlie Hebdo et du quotidien échangent quelques mots sur le "drame" survenu dans la nuit. "Libération compte désormais une vingtaine de collaborateurs de plus. Nos locaux et nos colonnes vous sont grand ouverts", déclare le directeur de la rédaction, Nicolas Demorand, à l'attention des nouveaux arrivants.

    Ils viennent directement des locaux de Charlie Hebdo, dans le XXe arrondissement, détruits pendant la nuit par un incendie volontaire. Certains ont pu glaner quelques archives et autres "trucs" récupérés dans les décombres, qu'ils transportent précieusement dans des sacs de toile bleu, imprimés avec des dessins de Riad Sattouf. Comme la chroniqueuse de défense des animaux, Luce Lapin, qui a pu récupérer les archives papier de sa chronique depuis mai 1993. "Un pompier a bien voulu me laisser entrer.  A l'intérieur, on a l'impression que tout est brûlé", raconte-t-elle.

    Le journaliste d'investigation Laurent Léger, lui, a pu retrouver documents et dossiers en cours. Tandis que la maquettiste, Martine Rousseau, qui ne s'est pas rendue sur les lieux, ne se fait guère d'illusions : "mon bureau est devant la fenêtre, au rez-de-chaussée, donc..."

    "UN JOURNAL BLASPHÉMATEUR"

    Mercredi matin, des quidams sont venus spontanément soutenir le journal aux murs calcinés. "Des musulmans du quartier ou de Montreuil sont passés nous voir. Certains n'étaient pas en accord avec nos idées, mais ils le sont encore moins avec celles des guignols qui ont attaqué le journal. Ce n'est pas Charlie Hebdo seulement qui est attaqué, c'est l'islam", déclare le dessinateur Luz, qui s'interroge sur les auteurs de ce crime.

    Pour le moment, l'enquête est en cours et tous sont prudents. "On ne sait pas qui a fait ça. Dans ce numéro, il y a un article sur les catholiques intégristes aussi", précise le dessinateur Riss, qui ajoute : "On a reçu quelques menaces sur Facebook les jours précédents. Il y a toujours eu des crispations autour de Charlie Hebdo, mais on n'aurait jamais imaginé cela." Et lorsqu'on lui demande s'il a peur désormais, il rétorque sans hésiter : "Non.  A titre personnel, je n'ai pas été choqué mais surpris et nous voulons savoir qui a fait ça. Cela peut être l'extrême-droite, des fanatiques..."

    Luz, l'auteur de la "une", s'interroge : "Est-ce des intégristes musulmans bourrés ?" Tous sont unanimes et sans regrets : "On n'a pas fait un journal particulièrement provocateur. Pour nous, le mot d'actualité de cette semaine était "Charia" et on a traité l'actualité à notre manière." Le rédacteur en chef, Gérard Biard, ajoute : "Le journal de cette semaine n'est pas irrévencieux, il est blasphémateur."

    EN DÉFENSE DE LA LAÏCITÉ

    Charb, le directeur de publication de Charlie Hebdo, n'est pas présent. Celui qui n'avait pas pris de congés cet été s'était accordé quelques jours de vacances. Un repos interrompu par cet incendie criminel. C'est le journaliste Bernard Maris, alias Oncle Bernard, qui prend place aux côtés de Nicolas Demorand. Il le répète : "L'un des fondements de Charlie Hebdo, c'est la laïcité". Et quand un journaliste l'interroge sur la déclaration du ministre de l'intérieur, Claude Guéant, qui dénonce un "attentat contre Charlie Hebdo", il répond sans ambages : "Ça ne me choque pas. C'est la marque de la bonne santé républicaine. C'est la première fois qu'un journal est brûlé. Il ne faut pas avoir peur d'être soutenu par des cons !" Et de reprendre : "C'est le ministre de l'intérieur  tout de même...". "Et des cultes", s'empresse de préciser le dessinateur Cabu, également présent.

     

    Nicolas Demorand, directeur de la rédaction de "Libération", et Bernard Marris, de "Charlie Hebdo".

    Nicolas Demorand, directeur de la rédaction de "Libération", et Bernard Marris, de "Charlie Hebdo".Le Monde.fr

    Nicolas Demorand en profite pour pointer "une indignation à géométrie variable" de Claude Guéant et lâche : "J'aurais aimé entendre ce discours lorsque des journalistes du Monde ont été mis sur écoute". Puis, M. Demorand interroge : "Est ce que l'équipe se sent d'intervenir dans le Libération de demain ?"

    A huis clos, Libération et Charlie Hebdo ont préparé cette collaboration. Ils ont jusque tard ce soir pour rendre dessins et chroniques. Le numéro de Charlie Hebdo de cette semaine est déjà épuisé, mais va être retiré. L'équipe veut également travailler avec "encore plus d'ardeur" sur le prochain numéro. "J'ai totalement la foi dans notre travail de chatouilleur politique, économique, social, religieux... On ne va pas se laisser abattre par trois connards", tranche Luz. C'est dit : l'équipe de Charlie Hebdo est bien déterminée à défendre mordicus la laïcité, mais aussi "la liberté de se fendre un peu la gueule".

    Joan Tilouine lemonde.fr


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