• Comment Bercy traque les riches

    Pour faire la chasse à l'évasion fiscale, l'Administration tire tous azimuts. Mais tous les contrevenants ne sont pas traités avec égalité. Grosses fortunes et célébrités passent assez facilement à travers les mailles du filet.

    La crise n'a pas fait de bien aux caisses des Etats ! Non seulement leurs recettes fiscales ont fondu, mais leurs dépenses se sont largement accrues en raison des plans de relance mis en place pour soutenir l'économie. Comme les déficits se creusent, il y a urgence à remplir les caisses. Mais comment ? Augmenter les impôts ? Dans le contexte actuel, c'est économiquement dangereux et politiquement incorrect ! Autre solution : chasser les fraudeurs. Qui peut décemment être contre une telle politique ? Eric Woerth l'a bien compris. Le ministre du Budget s'est donc mué en justicier fiscal.

    (sources: et AF.blogg.org)

    Quand le fisc accepte de négocier avec les fraudeurs

    Liste de noms brandie devant les médias, création d'une cellule de régularisation, signature de nouvelles conventions obligeant les pays à fiscalité douce à coopérer, multiplication des dispositions antifraude et des fichiers d'information, tout est fait pour traquer l'évasion fiscale. Avec, pour commencer, la politique de la carotte. L'an dernier, Bercy a ainsi créé une cellule dite de régularisation. Avec cette structure, le ministère incitait les détenteurs de comptes à l'étranger à les déclarer au fisc avec la garantie d'un avenir pacifié. Pas question d'amnistie pour autant. Tout au plus, l'Administration acceptait de négocier...

    Et elle l'a fait. Dans nombre de cas portés à notre connaissance, cette dernière a accordé une remise quasi générale sur les pénalités et les intérêts de retard. Ou adopté une lecture conciliante des textes fiscaux. Ainsi, des redressements sur l'impôt de solidarité sur la fortune ont été opérés sur seulement trois ans, contre les six théoriquement pratiqués ! Le 31 décembre dernier, cette cellule de régularisation a officiellement fermé ses portes. Sur les 50 000 Français supposés détenir plus de 30 milliards d'euros hors de nos frontières, 3 500 d'entre eux seulement se sont exécutés... Même avec un appât, la pêche n'a donc pas été bonne. Ce qui n'empêche pas Eric Woerth de vouloir instaurer un nouveau dispositif de cette nature dans les mois à venir.

    (sources: et AF.blogg.org)

    L'exil fiscal, c'est 10 milliards de pertes pour l'Etat

    Après la carotte, le bâton. Avec en ligne de mire, pour commencer, les exilés fiscaux. Partir vivre hors de nos frontières est totalement légal. Aucune disposition interne ne peut porter atteinte à la liberté de circulation des personnes, principe fondamental de l'Union européenne. Et certains ne s'en privent pas, malgré le bouclier fiscal. Les retours, eux, ne sont pas légion même si, désormais, personne ne laisse plus de 50 % de ses gains au fisc hexagonal. 6 000 riches familles françaises se sont ainsi installées avec 200 milliards d'euros de patrimoine dans les pays limitrophes à fiscalité allégée : Belgique, Royaume-Uni et Suisse. Un vrai Bottin mondain ! Alain Delon, Isabelle Adjani, Alain Prost, Amélie Mauresmo, Alain Afflelou, Charles Aznavour, les propriétaires de Darty (la belle-famille de Jean Sarkozy), une partie de la famille Guerlain, Hermès, Wendel, Mulliez et de nombreux PDG de grandes entreprises du CAC 40 à la retraite, etc.

    Cet exil représente une perte de recettes fiscales annuelles de 7 à 10 milliards d'euros. Un manque à gagner que Bercy a du mal à digérer. Alors, pour faire rentrer l'argent dans les caisses, tout est bon. D'autant que le Code général des impôts a une définition floue de la résidence fiscale en France. Dès que les liens d'un contribuable avec la mère patrie sont trop étroits, il doit obligatoirement passer à la caisse française. Pour en avoir le coeur net, et s'assurer que la résidence étrangère n'est pas qu'une couverture, les inspecteurs épient les exilés en permanence. Car, pour leur malheur, ils ont dû donner leurs nouvelles coordonnées au fisc avant le départ. Ne reste donc plus qu'à établir un plan de surveillance tenant compte des modes de vie et des centres d'intérêts de ces riches. Prenons le cas d'une famille de la grande distribution, installée à Ixelles, quartier élégant de Bruxelles. Madame s'ennuie. Les enfants ont leurs amis, ou leur conjoint à Paris. Ils ont gardé l'appartement de Neuilly et les comptes en France. Ils ont un abonnement Thalys et réservent chaque année concerts, ballets et opéras dans les salles parisiennes.

    (sources: et AF.blogg.org)

    L'inspecteur épie tous les voyages des riches expatriés

    Quant à madame, elle dédaigne les boutiques du boulevard de Waterloo à Bruxelles et continue à dévaliser l'avenue Montaigne. C'est un bonheur pour notre inspecteur. Il demande à la SNCF un relevé des allers-retours entre la Belgique et la France. Il vérifie auprès de l'Opéra de Paris le nombre de spectacles sélectionnés dans l'abonnement et calcule que, pour une soirée, on peut tabler sur deux ou trois jours de présence effective à Paris. Il décortique les relevés de cartes bancaires afin d'évaluer le temps passé dans les magasins parisiens par madame. Il étudie les factures détaillées des portables de la famille, véritables mouchards permettant de savoir d'où ils téléphonent et où ils sont appelés. Il incite le gardien de l'immeuble à coopérer afin de l'informer des dates d'arrivée et de départ et se procure les factures EDF ou GDF. Il vérifie si les enfants restent scolarisés en France et si monsieur continue à y travailler en assistant à des conseils d'administration.

    Enfin, il ne manque pas d'éplucher la presse people, les chroniques des soirées mondaines et les photos des personnalités présentes, véritable pain bénit pour notre inspecteur, transformant ainsi Stéphane Bern en involontaire bras armé du fisc... Et au bout du compte, la famille se voit contrainte à payer ses impôts en France. C'est avec cette méthode que le couturier Karl Lagerfeld, normalement résident fiscal monégasque, a été coincé. En appliquant de telles investigations, Johnny Hallyday, l'idole des jeunes, devrait a priori être considéré comme résident fiscal français. Mais pour tout dossier sensible, c'est-à-dire ceux concernant les "rich and famous", notre inspecteur doit, avant toute poursuite, en référer directement au cabinet du ministre en place. Seule sa haute hiérarchie a le pouvoir de décider s'il faut enterrer ou approfondir le dossier.

    Autre cible privilégiée de Bercy : les capitaux exilés hors de nos frontières. Cette fois-ci, le contribuable reste dans l'Hexagone, mais fait sortir son argent. La traque aux grands patrons, bardés de sociétés écrans dans des paradis fiscaux, est un exercice des plus compliqués. Selon des fonctionnaires trop bavards, Bercy renonce huit fois sur dix à redresser ces "très riches", car ses inspecteurs n'arrivent pas à démêler l'écheveau permettant de remonter à ces revenus dissimulés à l'étranger. Et le durcissement des mesures antiévasion fiscale ne devrait pas y changer grand-chose. Incapable de chasser le requin, l'Administration s'attaque donc au menu fretin.

    Sa traque passe souvent par la vérification de la situation fiscale d'ensemble du contribuable. Si, pour son malheur, il utilise en France les sommes figurant sur ses comptes suisses ou luxembourgeois, le fisc obtient aisément la reddition du contrevenant. Mais à raison de 4 000 contrôles annuels, les services fiscaux arrivent à une dizaine de redressements. Et encore, à condition que les Etats de détention des comptes acceptent de collaborer. Ce qui devrait à l'avenir s'améliorer, puisque le secret bancaire ne pourrait plus être invoqué par les autorités bernoises ou luxembourgeoises.

    (sources: et AF.blogg.org)

    Les dénonciations sont prises en compte par l'Administration

    Mais le fisc peut aussi s'appuyer sur les dénonciations, fréquentes en cas de divorce ou de succession orageuse, et les listings fournis gratuitement ou moyennant finance par des employés de banque éconduits par leur employeur. Bercy a toujours juré ne pas avoir recours à ces méthodes. La fameuse liste des 3 000 Français détenant des comptes en Suisse chez HSBC témoigne du contraire. Malgré sa légalité douteuse (voir encadré), car volée et fournie par Hervé Falciani, un ancien de la banque, au procureur de Nice puis transmise à Bercy, Eric Woerth veut absolument l'utiliser pour redresser les contribuables récalcitrants. Que la Confédération helvétique coopère ou non, une fois le poisson ferré, le fisc français lâchera rarement prise. Surtout si le contrevenant est peu fortuné, et n'a pas eu les moyens de s'offrir les conseils onéreux des cabinets spécialisés pour brouiller les pistes. Rien n'a changé donc depuis Louis XIV et La Fontaine, dont les "animaux malades de la peste" restent d'une criante actualité : "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir."

    (sources: et AF.blogg.org)

    Illégale, la liste des 3 000 ?

    La menace est à peine voilée mais bien réelle. Plusieurs avocats spécialistes du droit international soulèvent l'irrégularité des contrôles fiscaux effectués à la suite de l'utilisation par un Etat de fichiers volés. La France se rendrait coupable de recel en s'en servant pour coincer ses contribuables. Tous les redressements effectués à l'aide de la liste des 3 000 seraient ainsi annulés sans qu'il soit possible pour le fisc d'effectuer de nouvelles rectifications sur une autre base.

    Pour y arriver, le contribuable devra s'armer de patience et engager, après l'épuisement des recours en France, une instance devant la Cour européenne des droits de l'homme. Son avocat y invoquera alors l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme relative au droit à un procès équitable. Ce principe suppose que la procédure engagée par la France est juste, ce dont il est légitime de douter lorsque les preuves invoquées par le fisc proviennent de vols caractérisés. Bercy a du souci à se faire et, quand on l'interroge à ce sujet, la gêne est palpable.
    (sources: et AF.blogg.org)


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