• Attentats en Norvège : l'intervention de la police en question

    Quand un homme vêtu d'un uniforme policier et muni de deux armes à feu commence à tirer
    sur l'île norvégienne d'Utoya, où se trouvent 600 jeunes réunis pour le
    camp d'été du Parti travailliste, personne ne se méfie. Il est alors 17
    heures, ce vendredi 22 juillet, et les participants croient à un
    exercice, quelques instants après l'annonce de l'explosion d'une bombe
    au centre d'Oslo.

    Pourtant, les jeunes mesurent rapidement toute l'étendue de leur
    méprise. C'est bien sur eux que tire et s'acharne cet homme déguisé en
    policier. A 17 h 10, lorsque certains composent le numéro de la police,
    ils ne rencontrent qu'une oreille inattentive : les forces de l'ordre
    sont déjà débordées par l'explosion dans la capitale et demandent de ne
    pas monopoliser les lignes téléphoniques d'urgence. Mais les appels de jeunes paniqués, ainsi que de leurs familles et amis, qui viennent d'être alertés, se multiplient. Le central téléphonique est alors rapidement saturé. "C'était impossible de répondre à tous les appels à la fois", reconnaît Sissel Hammer, la porte-parole de la police du district de Nordre Buskerud, où se trouve l'île.

    SUCCESSION DE CONTRETEMPS

    C'est seulement à 17 h 26 que la police finit par enregistrer la première  alerte en provenance d'Utoya, avant de prévenir
    dans la foulée les forces de  sécurité d'Oslo, situées à une
    quarantaine de kilomètres de là. Faute d'hélicoptère disponible, la
    patrouille de Buskerud se met alors en marche par la route et rejoint
    l'île vers 18 heures. Là, nouveau contretemps : elle doit encore attendre un bateau. Pendant ce temps, la chaîne de télévision norvégienne NRK a, elle, réussi à louer un hélicoptère et filme le carnage qui se poursuit.

    La police d'Oslo arrive à son tour et les forces de sécurité
    embarquent dans un bateau défectueux qui tombe en panne sous l'effet de
    la charge. Heureusement, des vacanciers d'un camping voisin, qui ont
    entendu les coups de feu, effectuent des allers-retours pour repêcher les jeunes qui se sont jetés à l'eau alors que le tueur achève méthodiquement ceux qui tentent de fuir par tous les moyens. C'est finalement à 18 h 25 que les forces d'élite parviennent à débarquer sur Utoya. Deux minutes plus tard, Anders Behring Breivik se rend, sans opposer la moindre résistance.

     

      
      
      
      
      
      
      
      
      
      
       
         
         

         
         
         
         
      

      

     

    UN POLICIER SUR L'ÎLE

    Au final, il aura fallu 90 minutes aux forces de l'ordre pour stopper
    une tuerie qui a fait, selon un dernier bilan, 68 morts. Pourtant, le
    ministre de la justice, Knut Storberget, a défendu son action. A ses
    yeux, il est très important d'avoir "une approche ouverte et critique sur la façon dont tous les acteurs de la société ont réagi", mais, rendant visite à des policiers, mardi, il a maintenu qu'ils avaient "très bien rempli leur mission", saluant leur "fantastique" travail.

    Si la solidarité des autorités et de la population reste de mise
    alors que la Norvège est endeuillée, l'intervention de la police
    commence à être pointée du doigt. "Une fois le choc passé, on va commencer à se poser des questions : qu'est-ce qui a mal tourné, aurait-on pu éviter le carnage, qui blâmer ?", confie Kristian Berg Harpviken, directeur de l'Institut de recherche pour la paix d'Oslo.

    Anne Holt, ancienne ministre de la justice norvégienne, n'a pas
    attendu la fin des condoléances. Dimanche, dans une interview à la BBC,
    au moment où le bilan était de 86 morts sur l'île – avant d'être revu à la baisse – elle lâche avec dureté : "Il
    a tué une personne chaque minute. Si la police était intervenue ne
    serait-ce qu'une demi-heure plus tôt, trente vies auraient pu être sauvées." "Nous avons fait le plus rapidement possible mais armer et envoyer nos unités spéciales prend du temps"
    , tente de justifier Sissel Hammer.

    En réalité, un policier, un vrai cette fois, était sur l'île dès le début de la fusillade : Trond Berntsen, 51 ans, qui travaillait depuis plusieurs années pour la sécurité du camp. Mais face à un Anders Breivik suréquipé, il n'a rien pu faire pour le stopper et a été tué dès les premières minutes du massacre. Car, comme tous ses collègues, Berntsen n'était pas armé.

     AUTORISATION DU PORT D'ARMES

    La Norvège fait ainsi partie des trois seuls pays européens à ne pas équiper
    ses policiers, avec l'Islande et la Grande-Bretagne. Les 8 000
    policiers du pays patrouillent seulement munis de matraques. Seuls les
    officiers ont accès à des armes, mais il ne peuvent les utiliser qu'après avoir demandé l'autorisation de s'en servir auprès de leur hiérarchie. Le reste du temps, les pistolets doivent rester déchargés et renfermés dans une boîte à l'intérieur de la voiture.

    "La loi a prévu quelques très rares exceptions pour autoriser
    le port d'armes : pour l'unité chargée de la sécurité de la famille
    royale et de quelques membres du cabinet comme le premier ministre, et
    les unités d'élite telles que celle qui est intervenue à Utoya vendredi
    , précise un membre de la direction nationale de la police norvégienne. Les autres sont bien sûr formés à utiliser des armes, au cours des trois années qu'ils passent à l'école de police, mais ils ne s'en servent que rarement."

    Il faut dire
    que la Norvège est connue pour son taux de criminalité très bas, l'un
    des plus faibles du monde. Ainsi, l'an dernier, selon les statistiques
    officielles, le pays a enregistré 31 meurtres pour une population de 4,7
    millions d'habitants. Et la théorie partagée par les autorités
    politiques comme militaires est que le port d'armes par la police
    pourrait conduire à une escalade de la violence, en incitant les criminels à s'équiper plus lourdement.

    CRIMINALITÉ EN HAUSSE

    Pourtant, des voix s'élèvent pour réclamer
    un armement de la police alors que le nombre de délits et de crimes
    augmente dans le pays, imputables à une délinquance étrangère mais aussi
    nationale en hausse. "Les crimes deviennent plus violents et
    complexes, Oslo grandit et le territoire national est très large. Nous
    aurions besoin d'avoir 2 000 ou 3 000 officiers formés et armés supplémentaires"
    , assure un membre de la direction nationale de la police.

    "Les faiblesses de la police norvégienne ne résident pas dans les
    moyens matériels et financiers, sinon dans la surveillance de la
    criminalité
    , estime Kristian Berg Harpviken, de l'Institut de recherche pour la paix. Depuis
    quelques années, avec l'ouverture de la société norvégienne à
    l'immigration, nous avons axé notre sécurité contre la menace de groupes
    islamistes radicaux. Nous connaissons au final très peu les nouvelles
    formes de terrorismes qui ont émergé depuis, plus individuelles,
    organisées sur Internet et opposés à l'islamisme."

    Les attaques du 22 juillet vont-elles changer l'organisation de la police ? Sur le plan de l'armement, rien ne devrait évoluer,
    les hommes politiques étant plus que jamais attachés aux valeurs du
    pacifisme justifiant cette règlementation. Par contre, il ne fait aucun
    doute, pour Kristian Berg Harpviken, qu'une autre valeur fondamentale,
    celle de l'ouverture, va s'en trouver quelque peu altérée : "On va assurément assister
    à des mesures telles qu'une sécurité accrue des hommes politiques, un
    accès aux bâtiments public plus sécurisé, une vidéosurveillance
    renforcée ou davantage d'espionnage de mails et appels téléphoniques."
    Lundi, le premier ministre Jens Stoltenberg déclarait ainsi à la BBC : "Je pense que la Norvège va changer. Il y aura un avant et un après."

      
             Audrey Garric (LeMonde)


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