• Londres brûle-t-il ?

    "Shoot, if you see a Fed. " Tire, si tu vois un flic... comme on dit dans les ­séries américaines. Il y a plus de trente ans, une des ­premières chansons du groupe The Clash s’appelait « London’s Burning ». Appel à la révolution pour cause d’ennui ambiant. Ce mardi, Londres est à nouveau en feu, et ce n’est pas une chanson. C’est un message envoyé sur Twitter, un de ceux grâce auxquels les émeutiers se regroupent comme des vols d’étourneaux, piquant sur un nouveau champ de blé. Un magasin de téléphones, d’alcool, de vêtements de sport, une banque… Même le Premier ministre David Cameron a estimé que le temps n’était plus au sang-froid. Après trois jours de réflexion, il a fini par laisser derrière lui la Toscane, ses cyprès, ses musées, pour retrouver Londres en pleine nuit, débarquant d’un avion de la Royal Air Force sur une base militaire.

    La guerre. C’est presque la guerre. Sur les écrans passe en boucle cette image qui stupéfie l’Angleterre. L’Angleterre et sa sainte police, si aimée, si respectée, celle qu’on voyait en avril dernier canaliser si gentiment la foule des admirateurs de la monarchie venue acclamer les jeunes mariés, Kate et William, au balcon de Buckingham. La « we police by consent » (nous faisons la police avec vous)… celle qui fait passer toutes les autres forces de l’ordre pour des hordes barbares. La police qui recule dans une rue en feu face aux manifestants armés de battes de base-ball.

    Comme la stratégie évolue en fonction des nouvelles armes, les insurgés cagoulés se sont adaptés au progrès de la téléphonie. Après le déplacement en masse, sur le modèle de l’infanterie, c’est le temps de l’attaque de guérilleros, sur bicyclettes de cross. Quatre fois plus de policiers n’y pouvaient rien changer. Trop lourds, trop lents, pas assez méchants, eux qui refusent encore d’utiliser les traditionnelles lances à eau, comme en Irlande du Nord. C’est qu’en face, ils découvrent un délinquant d’un modèle nouveau. Voleurs de barres chocolatées et de paquets de chewing-gums. Si jeunes. Record pulvérisé par un enfant de 11 ans arrêté lundi. Mais il y en a de 7 ans ! affirme même le très populiste « Sun ».

    Et David Cameron de menacer : « Si vous êtes assez grands pour commettre des crimes, vous êtes assez grands pour en assumer les conséquences ! » Il paraît qu’ils croient vivre comme dans leur jeu vidéo « Grand Theft Auto », où on gagne des points en commettant le plus de crimes. « Une génération consumériste, bombardée par la publicité, définie non pas par ce qu’elle est mais par ce qu’elle achète...  », explique un sociologue. Dînait-il dans la pizzeria assiégée où les clients n’ont pas eu le temps de finir leur Margarita ? Ou au Ledbury de Notting Hill, le 2-étoiles Michelin, où ils ont été sauvés des racketteurs par le personnel de cuisine, armé de couteaux bien affûtés ?
    Tout a commencé le jeudi 4 août, vers 18 heures, quand Mark Duggan, 29 ans, est suivi par un véhicule de police. Il ouvre le feu et touche un officier à la poitrine. La police riposte.

    Il est tué. La scène se déroule près d’un arrêt d’autobus. Pendant deux jours, le feu qui couve ne montre aucune braise. Jusqu’au samedi, 16 heures, quand la famille de Duggan se rend au commissariat de Tottenham, dans le nord de Londres, pour demander des explications. Mais il y a du monde. On les fait attendre en leur promettant pendant des heures l’arrivée d’un responsable. Les « potes » patientent dehors. De plus en plus nombreux. Vers 20 heures, une foule est déjà massée devant le commissariat, au milieu de laquelle on aperçoit de plus en plus de jeunes masqués de foulards.

    Ils ont « entendu » qu’une jeune fille de 16 ans avait été matraquée par un officier. On saura plus tard que c’est elle qui a commencé par balancer des pierres, et qu’elle a été maîtrisée puis jetée à terre. Le caillassage commence. Deux véhicules de police sont incendiés, le clan Duggan préfère prendre le large : c’est le début d’une vraie bataille rangée. A 23 heures, un bus est en flammes, des magasins sont incendiés. Des dizaines de jeunes rentrent chez eux les bras remplis de téléviseurs, de téléphones, de nourriture. D’autres se font photographier devant leurs trophées : poubelles ou voitures en feu. Elles n’ont pas plus de valeur les unes que les autres. Comme une inondation, la violence se propage.

     

    On ne vole pas seulement les bijoux mais aussi les vélos

    D’abord, les quartiers populaires du nord de Londres, puis ceux du sud, une incursion à Notting Hill et à Oxford Street, le centre de la capitale avec tous ses grands magasins, puis une expansion aux anciennes villes industrielles : ­Birmingham, Liverpool, Brighton... l’Angleterre meurtrie de la crise, confrontée aux restrictions de toutes sortes.
    A l’heure de pointe, on aura vu des émeutiers s’attaquer à un bus à plate-forme, taper sur le chauffeur à coups de bouteilles de champagne volées au Tes­co, le supermarché du coin, poursuivre les voyageurs, les forcer à se déshabiller pour leur voler leurs vêtements.

    A Stoke Newington, des propriétaires de magasins turcs protègent leurs boutiques à l’aide de gourdins et courent après les pilleurs. On ne vole pas seulement les bijoux mais aussi les vélos. Un patron de pub a renoncé à avoir des bouteilles d’alcool dans son bar, de peur de les voir transformées en cocktails Molotov. Il a dû raccompagner chez elle une vieille cliente habituée à venir prendre le thé chez lui et qui n’arrivait plus à quitter son établissement sous les projectiles.

    Lundi soir, 44 policiers étaient à l’hôpital, plus de 300 jeunes en garde à vue, mais le calme n’était pas revenu. Le lendemain, on annonçait un premier mort, parmi les manifestants. Les carcasses d’immeubles ravagés par l’incendie évoquaient une autre époque, quand Londres était victime du Blitz. Des stations de métro au cœur de Londres étaient fermées.

    Ce Duggan qui, hier, était un incon­nu, un voyou jamaïcain du quartier de Broadwater Farm, appartenant à une bande impliquée dans des meurtres et trafics de drogues, est deve­nu le héros de Facebook. Comme un dieu antique, il apparaît sous ses deux visages : en « Starrish Mark » (Mark la star), le caïd à la chevalière en diamant qui singe avec trois doigts le geste du revolver qu’on tire ; et Mark, le bon père de famille, quatre enfants, tendrement appuyé sur les épaules de Simone, sa compagne depuis treize ans, devant la tombe de leur fille, morte-née il y a deux ans.
    Et il a fallu que cette bombe explose alors que Scotland Yard avait été décapitée par le scandale des écoutes du groupe Murdoch !

    « Est-ce qu’on est au bord de la guerre civile ? » tweetait la star de « Fuck You », la chanteuse Lily Allen, lundi soir. La démocratie anglaise commence à réclamer des comptes aux réseaux sociaux. Pourtant, sur Twitter comme sur Facebook, d’autres mobilisations sont en train de s’organiser : après les appels à l’anarchie, les « Riot clean up », les appels au nettoyage. Il y a quelque chose de changé en Angleterre : à Wembley, le match amical qui, mercredi, devait opposer l’Angleterre aux Pays-Bas a été annulé. Et des policiers ont commencé à utiliser des véhicules blindés. Si le Premier ministre David Cameron, le maire de Londres Boris Johnson et la ministre de l’Intérieur Theresa May ont dû renoncer à leurs vacances, ils ne sont pas les seuls : 16 000 policiers ne verront pas la fin de l’été à la campagne, mais dans les rues en feu de la capitale.


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