• La CIA exhibe ses programmes tenus secrets depuis la Guerre froide


    ETATS-UNIS. L'Agence centrale de renseignement dévoile dans un volumineux rapport intitulé «Bijoux de famille» certains des programmes illégaux qu'elle a menés à partir des années1950.









    Sam Giancana était le successeur d'Al Capone, chef de la mafia de Chicago et l'homme le plus puissant de la pègre des Etats-Unis. C'est Frank Sinatra qui l'avait mis en contact avec le clan des Kennedy. Le mafieux était disposé à investir des millions pour soutenir le futur président. En fait, il était prêt à davantage encore: «La CIA et la mafia sont les deux faces d'une même monnaie», avait-il affirmé un jour. Mais il n'en dit pas plus. Pourtant sous protection fédérale, il fut assassiné en 1975 de sept balles dans la tête, alors qu'il devait être entendu peu après par une commission d'enquête du Sénat américain. «Nous n'avons rien à voir avec cela», avait certifié le chef de la CIA de l'époque.

    Dans un volumineux rapport de 700 pages dévoilé mardi par la CIA, le fantôme de Sam Giancana revient pourtant. Le rapport, joliment intitulé «Bijoux de famille», n'explique pas la mort du truand. Mais il éclaire un peu davantage sa vie. Rendu furieux par l'arrivée des barbus qui s'étaient empressés de fermer ses casinos à Cuba, c'est Giancana qui a eu l'idée des pilules empoisonnées qui devaient mettre fin aux jours de Fidel Castro. C'est lui qui trouva un intermédiaire, Juan Orta, ayant accès au révolutionnaire en chef, qui avait pris le pouvoir en 1959. La mafia mit un point d'honneur à refuser les 150000 dollars qui accompagnaient le deal. C'était un donné pour un rendu. D'ailleurs, la CIA n'allait pas tarder à aider en retour Sam Giancana. Le mafieux suspectait sa petite amie de le tromper. Un technicien fut dépêché pour placer des micros dans une chambre d'hôtel, afin de confirmer ses soupçons.

    L'opération contre Fidel Castro échoua, bien sûr, le Lider maximo est toujours là. Mais des opérations comme celle-ci, il y en eut beaucoup d'autres, à partir des années1950.

    Les «Bijoux de famille» traînent dans les placards de la CIA depuis 1973, date à laquelle les documents avaient été compilés à la demande de son directeur de l'époque, James Schlesinger, pour essayer de nettoyer la maison après le scandale du Watergate. Depuis lors, de nombreuses informations ont été dévoilées par des protagonistes ou par certains journalistes qui ont enquêté sur les agissements illégaux de l'agence. Même s'ils restent toujours lourdement censurés, ces documents apportent aujourd'hui une confirmation officielle.

    Ainsi, Fidel Castro n'a pas été le seul dirigeant étranger que la CIA voulait voir disparaître. Il y eut également Patrice Lumumba, le père de l'indépendance de la République du Congo (on tenta aussi de l'empoisonner) ou encore le dictateur dominicain Rafael Trujillo, dans l'assassinat duquel la CIA reconnaît «une assez importante implication».

    Un autre «bijou»: Yuri Ivanovich Nosenko, cet ancien officier qui avait fait défection du KGB et qui fut incarcéré illégalement, et torturé, pendant trois ans avant d'être finalement relâché en 1967.

    Mais surtout, ce dossier dévoile dans le détail l'ampleur des activités d'espionnage que la CIA entreprit contre les Américains opposés à la guerre du Vietnam et soupçonnés de collaborer avec l'ennemi communiste. Dossiers précis établis sur des milliers de citoyens, courriers interceptés, communications écoutées, création d'un Groupe spécial d'opérations chargé d'infiltrer les mouvements militants... Pendant sept ans, sous les présidences de Johnson et de Nixon, la CIA viola allégrement sa charte fondatrice qui lui interdit de surveiller les citoyens américains. L'actrice Jane Fonda était dans le collimateur de l'agence. D'autres célébrités non américaines aussi, comme un certain John Lennon.

    «Tout cela est clairement illégal», avait notoirement expliqué par la suite Henry Kissinger à un président Ford à peine arrivé à la Maison-Blanche, lorsque les premières révélations étaient apparues, en 1974. Au terme «bijoux de famille», Kissinger en préférait un autre: «Le livre des horreurs.»

    A la même époque, révèlent encore les documents, s'est aussi mis en place un très vaste réseau international visant à former des forces militaires et policières étrangères au «contre-terrorisme», puis à les équiper et à les financer. Dans les années1960, ces forces étaient actives dans au moins 25 pays étrangers.

    En justifiant la publication de ce rapport, le chef actuel de la CIA, le général Michael Hayden, a évoqué le «contrat social» qui lie son agence aux Américains. Comme pour prévenir toute comparaison avec la situation actuelle, il souligne que les choses ont changé et que la CIA dispose aujourd'hui d'une «place bien plus forte dans le système démocratique». «Ce que nous faisons pour protéger les Américains, nous le faisons dans un cadre légal et sous une puissante surveillance», expliquait-il.

    Ces propos rassurants n'ont pourtant pas convaincu ceux qui, aux Etats-Unis, pensent que la CIA n'a jamais cessé ses opérations en marge de la loi. Prisons secrètes dans lesquelles disparaissent des prisonniers supposés appartenir à Al-Qaida, écoutes téléphoniques menées à très vaste échelle, interception d'e-mails... L'ennemi, certes, n'est plus le même, mais les méthodes ont-elles changé? James Bamford a écrit un livre sur les pratiques de la CIA dans la période récente. Dans la presse américaine, il se montre catégorique. «Ces bijoux de famille, dit-il, sont encore bien pâles en comparaison de ce qui se fait aujourd'hui.»

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