• Banlieues et Islam : deux rapports au destin médiatique très différent

    C'était la une du journal Le Monde daté du 5 octobre : « Banlieues, Islam : l'enquête qui dérange ». A l'intérieur, on découvre quelques résultats d'une enquête manifestement très sérieuse dirigée par Gilles Kepel (Sciences Po Paris) et financée par l'Institut Montaigne avec de gros moyens. Certes, ce chercheur – spécialiste de l'Islam – constate comme tout le monde « un renforcement du référent religieux » dans les quartiers pauvres, à commencer par le commerce halal et les mariages endogamiques. Mais il explique que « cette revendication identitaire ne doit pas être prise au pied de la lettre ; elle est aussi une manière de demander son intégration dans la société, pas forcément de rompre avec elle ». De plus, à la question « qu'est-ce qui vous frappe le plus à Clichy et Montfermeil ? », l'universitaire répond « d'abord l'ampleur du problème de l'emploi ». Enfin, il termine en insistant avant tout sur l'école et l'éducation. En résumé, il semble que ce rapport (dont, hélas, seul le résumé est accessible en ligne) rejoigne les constats que nous (les sociologues) faisons depuis des années. Dès lors, il faut bien le dire, on ne comprend pas pourquoi Le Monde a choisi ce titre, on ne comprend pas en quoi cette enquête « dérange ». Et nous sommes nombreux à nous être posé la question, à en juger par la chronique que le médiateur du Monde a dû consacrer à ce sujet le 8 octobre.

    Pendant ce temps-là, à Marseille...

    Au même moment, à quelques centaines de kilomètres de là, deux autres chercheurs publiaient de leur côté un rapport intitulé Les Marseillais musulmans, qui connaissait, lui, un tout autre traitement médiatique. Réalisé par Vincent Geisser et Françoise Lorcerie (CNRS-Ireman), dans le cadre d'un programme de l’Open Society Foundation, il s'agit de l'une des onze monographies de villes européennes abordées sous l’angle de l’intégration sociale de leurs populations musulmanes. A l’instar de ce qu’a fait Gilles Kepel pour Montfermeil et Clichy-sous-Bois, l’étude décrit la situation des Musulmans marseillais en tant que composante de la population de la ville, dans huit secteurs de la vie sociale : éducation, logement, emploi, santé, sécurité, participation politique, ainsi que sous l’angle de l’identité sociale et des médias. En l’espèce, il ne s’agit pas de petites villes de banlieue, mais de la seconde ville de France (environ 850 000 habitants) où l’on estime les musulmans à quelque 30 % de la population, avec deux origines principales : le Maghreb (principalement l’Algérie) et les îles Comores, ce qui constitue une autre originalité.
    Image_musulmans_marseillais.pngOr, le traitement médiatique de cette enquête tout aussi intéressante est radicalement différent de celui de la précédente. D'abord, dans ce cas, aucun média national ne s'intéresse au rapport. Ensuite, le quotidien régional La Provence y consacre un article proprement sidérant, à la limite de la diffamation et de l'insulte, dans lequel la journaliste cherche du début à la fin à discréditer les auteurs, en n'ayant manifestement pas lu les 300 pages du rapport. L'article est ainsi titré « La très étrange étude d'un milliardaire sur les musulmans de Marseille » (la fondation Open Society a été créée par le milliardaire Georges Soros, mais cela n'a aucun rapport avec le contenu de l'étude, le titre est donc choisi uniquement pour discréditer l'enquête). Le rapport est présenté carrément comme « une compilation de clichés » et finalement « une étude de cours élémentaire réalisée par deux chercheurs égarés » !

    Que conclure ? On ne comparera certes pas le dossier de fond réalisé par Le Monde, sur trois pages très riches en informations, avec le papier de La Provence, qui n'honore pas le métier de journaliste. Le destin croisé de ces deux rapports de recherches peut cependant amener trois réflexions, qui ne sont d'ailleurs pas des surprises. La première est qu'il vaut mieux travailler sur la région parisienne que n'importe où ailleurs en France pour intéresser les médias nationaux. La seconde est que l'institut Montaigne a des moyens de communication que n'ont pas l'université ni le CNRS. La troisième est que, dès que l'on aborde le thème de l'Islam, on suscite immanquablement des émotions incontrôlées et notamment des réactions de peur et de rejet, y compris chez des personnes qui, à un autre moment et sur un autre sujet, sont tout à fait capables de faire preuve de rationalité et de neutralité.

    insecurite.blog.lemonde.fr


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