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Amy Winehouse: Mort dune diva destroy
Cette petite Anglaise avait la voix des grandes dames de la soul.
Et leurs fêlures. L’alcool, la drogue, le mal de vivre l’ont tuée à 27
ans.Le corps, recouvert d’un drap bordeaux, semble frêle sur cette civière. La journée s’achève, il fait
beau à Londres. Samedi 23 juillet, aux alentours de 20 heures, deux
hommes en costume sombre déposent la dépouille d’Amy Winehouse à
l’intérieur d’une ambulance privée. Des photographes, des passants, des
voisins regardent la scène, sans commentaire. Les services de secours,
puis la police ont constaté le décès de la chanteuse, trouvée inanimée
et seule dans son lit, dans sa maison de Camden Square, quatre heures
plus tôt. Aucune trace de drogue ni d’alcool, selon les déclarations du
légiste, deux jours après la mort de la star. C’est son garde du corps
qui aurait donné l’alerte. Sa mère, Janis, lui avait rendu visite dans
la journée de vendredi. Elles se voyaient encore, malgré les tourments,
la peine que la mère ressentait en constatant l’état de délabrement de
la fille. Quand la nouvelle s’est confirmée, Janis a déclaré : « Il
s’agissait d’une question de temps. Elle semblait complètement ailleurs.
Malgré tout, je suis sous le choc. Quand je l’ai laissée, elle m’a dit
en partant : “Je t’aime, maman.” Je suis heureuse de l’avoir vue une
dernière fois. » Son père, Mitch, était dans un avion, direction New
York, pour participer à un festival de jazz. A peine débarqué, il est
remonté dans le premier vol pour Londres, accablé. « Je rentre. Je dois
être au côté d’Amy. Je ne dois pas craquer. Ma famille a besoin de moi. »Tout le monde, la presse, les fans, les amis, la famille, redoutait le coup
de fil de l’annonce de sa mort. Même si Amy aurait joué de la batterie
et pratiqué des vocalises avec entrain, ce vendredi, d’après une
voisine, et consulté le soir même son médecin qui n’aurait rien décelé
d’anormal, tout était possible avec elle. Aussi versatile
qu’imprévisible, elle allait mal. En mai, elle avait séjourné pour la
quatrième fois au moins dans une clinique de désintoxication à Londres,
The Priory. Elle avait pu y faire pénétrer une bouteille de vodka. Amy
devait se soigner avant de débuter une tournée européenne de douze
concerts. Le premier, à Belgrade, le 18 juin, fut un désastre. Elle
titubait, miaulait des paroles inaudibles. La foule l’a huée, comme
souvent. La tournée a été annulée et Amy, depuis, traînait son cafard
chez elle. Recluse, elle sortait peu dans son quartier adoré, Camden. La
patronne d’un boui-boui, au coin de sa rue, explique qu’Amy lui a
acheté un Coca light, trois jours plus tôt, en plaisantant : « Si je
vous commande de l’alcool, surtout ne m’en servez pas. » L’ultime
apparition publique de miss Winehouse remonte au mercredi 20 juillet.
Elle est montée sur scène, au côté de sa filleule Dionne Bromfield,
chanteuse de 15 ans, lors du festival iTunes au club The Roundhouse. Amy
a dansé vaguement, secoué les bras, pressé la foule d’acheter le CD de
Dionne. Mais quand celle-ci lui a tendu le micro, Amy s’est enfuie. Elle
avait 27 ans. Elle intègre, de ce fait, le « stupide club 27 », surnom
donné par la mère de Kurt Cobain à ce groupe de musiciens légendaires
morts à cet âge précoce : Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendrix,
Janis Joplin, Jim Morrison et Kurt Cobain. Il n’y a pas de fatalité –
aucun n’est décédé de maladie ou d’un accident de la route –, mais un
hasard malheureux. Tous étaient fragiles, alcooliques, drogués,
écorchés, vidés par la célébrité, mal à l’aise dans le quotidien.
Lorsque Keith Richards a appris la mort de son comparse, Brian Jones, il
a eu ces mots : « Ce n’est pas surprenant. On connaît tous des gens
dont on sait qu’ils n’atteindront pas 30 ans. Brian en faisait partie. »
Amy aussi.Se déguiser en serveuse des années 50
Son itinéraire est celui d’une enfant gâtée, puisque dotée d’un don, la
voix. Elle a grandi à Southgate, quartier populaire du nord de Londres,
au sein d’une famille de confession juive. Les disques tournaient en
boucle à la maison. Son père, Mitch, est un chauffeur de taxi fan de
Frank Sinatra, de Dinah Washington et de jazz. Sa mère est pharmacienne.
Lorsqu’ils se séparent, Amy a 9 ans et son frère, Alex, 13. Amy
grattouille la guitare de son aîné lorsqu’il s’absente, écrit des bribes
de chansons et forme son premier groupe à 10 ans, avec sa copine
Juliette Ashby, sur le modèle du duo R’n’B qu’elles adorent,
Salt-N-Pepa. Elle ne voulait pas spécialement devenir musicienne mais
aimait se déguiser en serveuse des années 50, comme dans le film «
American Graffiti ». A 12 ans, elle s’inscrit au cours de théâtre de la
Sylvia Young Theatre School. Son père assiste à une représentation. « Je
pensais que j’allais voir ma fille jouer la comédie. Puis, elle s’est
mise à chanter sur scène. Je n’en revenais pas. Je ne savais pas qu’elle
possédait une tessiture pareille », dira-t-il au magazine « Rolling
Stone », en 2007.Les ennuis commencent à l’adolescence. Amy est
virée du théâtre à cause de ses piercings et d’une conduite erratique.
Elle fume des joints, quitte l’école à 15 ans, année de la mort de sa
grand-mère chérie, Cynthia, et de son premier tatouage, une Betty Boop
dans le dos. « Mes parents ont alors compris que je n’allais faire que
ce que je voudrais. » Elle écoute du hip-hop et du jazz, compose,
chante. Un copain de copain lui propose d’enregistrer des maquettes dans
un studio, libre quelques heures par semaine. Amy signe, à 17 ans, un
contrat avec Island Records, la maison de disques de Bob Marley et U2.
Simon Fuller, l’inventeur des Spice Girls et de l’émission de
télé-réalité « Pop idol », devient son manager, bluffé par son aplomb et
son talent. Son premier album, « Frank », sort en 2003. Ce mélange de
mélodies R’n’B, hip-hop, de sons jazzy, avec des paroles souvent crues
pour évoquer l’amour et ses affres, est un succès critique et populaire
en Angleterre. Amy est la révélation de l’année. C’est l’époque où elle
sert du thé aux journalistes pendant les interviews. L’époque où elle
est en chair, ronde, mignonne, marrante. Elle a 20 ans, fume des
pétards, boit quelques bières. Elle rencontre Blake Fielder-Civil dans
un bar de son voisinage. Elle tombe follement amoureuse de ce garçon
maigre, à l’allure de petite frappe, qui vivote en tant qu’assistant sur
des tournages de vidéoclips. Ils se déchirent, se battent des nuits
entières, s’entaillent les veines, se quittent pour se réconcilier au
lit. Selon des déclarations de Blake, il l’aurait initiée au crack et à
l’héroïne. Elle se fait tatouer son prénom sur la poitrine. Des gamins
de foire, livrés à eux-mêmes. Ils se séparent quelques mois plus tard.
Il va voir ailleurs. Elle aussi. « J’étais désespérée à l’idée de
l’avoir perdu. Je voulais mourir. Je n’ai jamais aimé quelqu’un comme
lui. »Incapable d’attitude
Amy est jalouse, dépressive. La chronique de cette dépression est l’unique
matière de son deuxième album, « Back to Black », en 2006. Un disque
incroyable, sixties et contemporain, classique dès la première écoute.
Le monde s’entiche de sa voix rauque, puissante, vibrante, et du
personnage au maquillage outrancier, couvert de tatouages de pin-up
seins à l’air, qui arbore une choucroute démente et un air blasé. Cette
créature de poche, anglaise, blanche et juive, vibre de la même soul
qu’Aretha Franklin et toutes les grandes chanteuses noires américaines.
Mais « Rehab », la chanson d’ouverture avec son célèbre refrain, « They
tried to make me go to rehab but I said no, no, no », ne sont pas des
figures de style. L’entourage d’Amy, maigre comme un bâton, voulait la
forcer à suivre une cure de désintoxication. Elle a refusé. C’est en
racontant l’anecdote dans la rue à son producteur, Mark Ronson, qu’ils
ont eu l’idée du morceau. Le succès est à la hauteur de la qualité de «
Back to Black », immense. Winehouse s’en fout. Elle consomme des
stupéfiants et boit de plus belle. Cette authenticité, cette mise à nu
permanente, cette attitude qualifiée de rock’n’roll, alors qu’elle est
incapable d’attitude, ont contribué à la faire aimer du public. Elle
semblait cool. Elle détonnait dans un univers lisse où la moindre
starlette déclare, après avoir vendu deux disques, vivre un rêve et se
coucher avec les poules pour préserver sa peau. On l’aimait quand elle
envoyait promener Bono sur scène, sniffait une fiole placée dans ses
cheveux tout en chantant, ruinait les plans marketing. Mais elle jouait
sa vie. Elle aurait tout envoyé valser pour Blake, sa drogue dure, son
obsession ridicule à force de l’évoquer à chaque phrase. Ils se sont
retrouvés après la sortie du disque, se sont mariés sur un coup de tête,
à Miami, en mai 2007, malgré les réticences de son père, Mitch. Elle se
disait alors prête à tout arrêter pour fonder un foyer et s’occuper de
son homme, pourtant très inactif. Une bagarre avec le propriétaire d’un
bar, que Blake a voulu solder en proposant au type 200 000 livres, les
sépare quelques mois après : il est condamné à deux ans de prison pour
avoir perverti le cours de la justice. Amy est inconsolable : « Je suis
seule, je m’ennuie, mon homme est parti. »L’année 2008 est son annus horribilis. Concerts atroces quand ils ont lieu, séjours en
urgence à l’hôpital pour abus d’alcool et de drogue, découverte d’un
emphysème, de vidéos sur YouTube où elle s’amuse, hagarde, avec des
souriceaux en compagnie de son ami, l’autre junkie célèbre, Pete
Doherty… Amy plonge. Elle qui n’a jamais désiré abandonner son cher
quartier de Camden, malgré l’argent amassé, se terre dans sa modeste
maison. La reconnaissance a attisé ses peurs au lieu de les calmer.
Quand j’ai attendu une semaine devant chez elle en novembre, elle
émergeait dans l’après-midi, et rien. Les poubelles étaient pleines de
cadavres de bouteilles de vodka et de boîtes de pizzas. Les dealers
défilaient. Sa mère l’avait mise en garde, la provoquant en lui
demandant dans quel cimetière elle souhaitait être enterrée. Sa famille,
sa maison de disques ont essayé de la soigner en l’envoyant ailleurs,
loin de ses démons. Elle a vécu près d’un an sur l’île de Sainte-Lucie,
dans les Caraïbes. « Je l’ai croisée là-bas, raconte un journaliste.
Elle paraissait en forme, heureuse. Elle devait donner un concert deux
jours plus tard, au cours d’un festival de jazz. La catastrophe. Elle a
englouti d’une traite une jarre de rhum-Coca, puis s’est endormie sur
les enceintes. » Les mois, les années ont défilé. Le nouveau disque n’a
jamais vu le jour, malgré des rumeurs d’enregistrement à Sainte-Lucie.
Elle a divorcé à son retour en Angleterre, fin 2009.Ses proches avaient repris confiance avec l’apparition, l’an dernier, d’un
boyfriend, Reg Traviss, réalisateur de films d’horreur, adoubé par papa.
Il l’avait quittée en janvier, affolé par ses abus, avant de renouer en
mars. Il aurait décidé de mettre un terme à leur histoire très
récemment, après avoir surpris Amy au téléphone avec l’éternel Blake,
emprisonné cette fois-ci pour un cambriolage minable à Leeds. Elle
venait d’emménager dans sa demeure de 2 millions de livres, près de son
pub préféré, le Hawley Arms. Trois étages, un studio, une salle de
sport, et la promesse d’un nouveau départ. Amy haïssait la célébrité et
la solitude. Lucide, elle pouvait se montrer très drôle. Elle aimait le
bruit des pubs, le billard, les années 60, les juke-box, les chaussures à
talon plat, les chats, le poulet de KFC, le maquillage cheap, les
femmes plantureuses et les garçons sans forme. Son entourage, sa maison
de disques, ses gardes du corps, même Blake, personne, sauf elle, n’est à
blâmer dans cette tragédie. C’est triste. De ce gâchis, surnage la
musique. Et cet album merveilleux, maintenant légendaire, « Back to
Black ».
Tags : amy winehouse
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