• 11 septembre : Comment l'attentat du siècle a été préparé

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    L’idée des attaques terroristes du 11 septembre 2001 est née, sept ans plus tôt, dans l’esprit d’un homme : Khalid Cheikh Mohammed, arrêté le 28 février 2003 au Pakistan. France-Soir raconte comment Oussama Ben Laden a permis qu’elle se concrétise.

    Nous sommes au mois de mai 1996. Oussama Ben Laden, de retour en Afghanistan, reçoit Khalid Cheikh Mohammed à Tora Bora, où il vient de se réfugier. Ancienne place forte des combattants moudjahidine durant la guerre contre l’Union soviétique, l’endroit (un réseau de cavernes creusé dans la montagne) n’est situé qu’à une dizaine de kilomètres du Pakistan.

    Le Saoudien et le Koweïtien ne se connaissent pas tant que ça. Certes, ils se sont croisés à la fin des années 1980, à Peshawar, ville frontière où tous ceux qui guerroyaient contre les Russes se retrouvaient. Mais leur dernière rencontre remonte à 1989.

    Issus, l’un et l’autre, de familles aisées, ils ont aussi pour point commun d’avoir étudié aux Etats-Unis (*) avant de prendre, chacun de leur côté, le chemin du djihad (la guerre sainte). C’est d’ailleurs l’Amérique qui les réunit encore aujourd’hui. La première puissance mondiale les recherche. Khalid Cheikh Mohammed, pour avoir aidé (financièrement) son neveu, Ramzi Youssef, à perpétrer, en 1993, le premier attentat contre le World Trade Center (WTC). Oussama Ben Laden, pour avoir lancé, trois mois auparavant, un appel à attaquer les intérêts américains partout dans le monde.

    Opération Bojinka

    Au menu de la réunion des deux hommes, rien que de très banal : assassinats, plans d’attaques et projets terroristes en tout genre. Parmi les différentes propositions avancées ce jour-là au chef d’al-Qaida par Khalid Cheikh Mohammed, figure une opération qui impliquerait des hommes entraînés à écraser des avions sur des villes américaines. Le Koweïtien y songe depuis plusieurs années.

    En 1994, alors qu’il vivait aux Philippines, il en avait monté – toujours avec l’aide de son neveu, Ramzi Youssef – une première version. Le projet, baptisé « Bojinka », consistait à faire exploser en vol 12 avions de ligne américains au-dessus de l’océan Pacifique. A cette fin, Mohamed et Youssef avaient commencé à acheter les produits chimiques et le matériel nécessaires à la construction des bombes et des détonateurs. Ils avaient également sélectionné leurs cibles : principalement des vols au départ de l’Asie. Ils iront même jusqu’à tester l’efficacité de leur matériel (le 11 décembre 1994) sur un vol de Philippines Airlines, tuant un passager et provoquant l’atterrissage en catastrophe de l’appareil. Un attentat raté qui atteste d’un manque de maîtrise dans la fabrication d’explosifs. D’ailleurs, quelques jours plus tard, à la suite d’une mauvaise manipulation, la planque des terroristes, située au cœur de Manille (la capitale philippine) prend feu. La police découvre l’arsenal stocké depuis plusieurs mois ainsi que des documents prouvant que Khalid Cheikh Mohammed et ses acolytes (qui ont pris la fuite) projetaient également d’assassiner le pape Jean-Paul II, dont la visite dans le pays était prévue le 15 janvier 1995.

    L’imprimatur d’al-Qaida

    C’est sans doute ces échecs répétés (à New York, en 1993, les explosifs ne sont pas parvenus à faire tomber la tour visée du WTC) qui poussent le Koweïtien à se rapprocher de Ben Laden. Le succès de l’attaque terroriste de grande envergure dont il rêve suppose de l’argent, des hommes entraînés, bien encadrés et, enfin, une solide capacité logistique. Autant de choses dont il ne dispose pas et qu’une organisation comme al-Qaida peut lui fournir. Ben Laden est intéressé par cette idée d’avions commerciaux transformés en missiles. Mais il n’en dit rien à son concepteur. Il propose seulement à Khalid Cheikh Mohammed de venir s’installer avec lui à Kandahar et de rejoindre formellement al-Qaida. Après quelques mois de réflexion, ce dernier accepte (toutefois, soucieux de son indépendance, il ne prêtera jamais allégeance à Ben Laden). Entre-temps, l’organisation terroriste poursuit sa montée en puissance. En frappant, le 7 août 1998, les ambassades américaines à Nairobi (Kenya) et Dar es-Salaam (Tanzanie). Ce n’est qu’une fois ces attentats effectués que Ben Laden donne son approbation à une opération dérivée de « Bojinka » et qui entrera dans l’histoire comme celle du 11 septembre 2001.

    Changement de cibles

    Khalid Cheikh Mohammed voit grand. Son plan suppose le détournement d’une dizaine d’avions. Neuf d’entre eux iraient s’écraser sur des cibles situées sur les côtes Est et Ouest des Etats-Unis. Outre le World Trade Center, il souhaite s’attaquer au Pentagone, au siège de la CIA et à celui du FBI, mais aussi à des centrales nucléaires, ainsi qu’aux plus hauts buildings de Los Angeles et de Washington… Le terroriste a prévu, enfin, et pour lui-même, d’atterrir sur un aéroport avec le dixième avion. Après avoir exécuté tous les passagers masculins présents à bord, il entend prononcer un discours, qu’il imagine télévisé, pour dénoncer le soutien américain à Israël et aux dictatures arabes.

    A l’énoncé de ce plan quelque peu grandiloquent, Ben Laden et ses lieutenants se montrent sceptiques. Trop compliqué, irréalisable à leurs yeux. Au printemps 1999, plusieurs réunions sont organisées à Kandahar. Réunions auxquelles participe Mohammed Atef, le chef militaire d’al-Qaida (il sera tué en Afghanistan en 2001 durant une attaque aérienne américaine). Avec Ben Laden, ils établissent une nouvelle liste – resserrée – de cibles. On y trouve, la Maison-Blanche, le Capitole (siège du Parlement à Washington), le Pentagone et le World Trade Center. Le final médiatique voulu par Khalid Cheikh Mohammed est écarté. Ben Laden, enfin, désigne les quatre premiers djihadistes retenus pour la mission suicide. Ils sont tous volontaires.

    Comment devenir un bon terroriste

    Dans ce groupe initial figurent des combattants expérimentés. Des moudjahidine de choc, anciens des guerres d’Afghanistan et de Bosnie. Deux d’entre eux (Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi) sont saoudiens. Leur nationalité est une donnée importante pour la réussite du projet. Du fait des liens politiques étroit qui existent entre leur pays et les Etats-Unis, les Saoudiens obtiennent aisément un visa pour se rendre en Amérique. Ce qui n’est pas le cas, par exemple, des Yéménites ou des Pakistanais. C’est aussi la nationalité des exécutants qui va permettre l’achèvement du 11 septembre. Sur les 19 pirates de l’air qui y participeront, on compte 15 Saoudiens.

    Mais pour l’instant place à l’entraînement. C’est sur une ancienne base militaire soviétique, proche de Kaboul, qu’il est dispensé. Endurance physique, sport de combat, maniement des armes, les enseignements proposés sont des plus classiques pour ce genre d’endroit. Une attention toute particulière est cependant accordée à la force mentale. Ce n’est pas tant à ses capacités physiques que l’on juge un bon terroriste. Mais bien plus à son aptitude à maîtriser ses nerfs et ses émotions durant de longues périodes. La patience est une vertu cardinale pour le poseur de bombes. Certains (ce sera le cas pour les pilotes du 11 septembre) doivent attendre des mois avant de passer – enfin – à l’action. Et, par définition, dans un environnement qui leur est hostile.

    Afin de compléter leur formation, les candidats au martyre sont envoyés à Karachi, au Pakistan, où Khalid Cheikh Mohammed, les initie à la culture et à la technologie occidentales. Cours d’anglais, code vestimentaire, utilisation d’Internet, élaboration de codes de communication, utilisation de simulateur de pilotage sur ordinateur, apprentissage de la lecture des horaires de vol… Il les conditionne également pour qu’ils observent ce qui, à ses yeux, importe dans un avion : si la porte de la cabine de pilotage est ouverte durant les décollages et les atterrissages ; si le commandant de bord se rend aux toilettes au cours du vol ou bien à quel moment le personnel de bord lui sert un plateau-repas.

    Les volontaires savent qu’ils préparent une opération suicide devant se dérouler en Asie ou aux Etats-Unis. Toutefois, ils n’en connaissent pas les détails. Et, encore moins, les objectifs. Une première série de voyages tests est effectuée en Asie, continent plus souple que les Etats-Unis ou l’Europe en matière de visa. En prenant des avions pour Kuala Lumpur (Malaisie), Hong Kong ou Bangkok (Thaïlande), les terroristes s’acclimatent aux déroulements des vols, notent les habitudes du personnel navigant et… parviennent aussi à déjouer les portiques de sécurité en faisant passer des cutters dans des trousses de toilette.

    La cellule allemande

    Décembre 1999. Tandis que les premiers terroristes désignés par Ben Laden s’apprêtent à mettre le pied sur le sol américain, un nouveau groupe de candidats au djihad, récemment arrivé en Afghanistan, attire son attention. Ce sont quatre étudiants (respectivement originaire d’Egypte, des Emirats arabes unis, du Liban et du Yémen) venus de Hambourg où, au contact de fondamentalistes sunnites rencontrés dans une mosquée de la ville, ils se sont radicalisés.

    Leur meneur, âgé de 32 ans, s’appelle Mohamed Atta. Outre qu’ils parlent tous l’anglais et possèdent un sérieux bagage technique acquis à l’université (mathématiques, architecture, motorisation aérienne…), ils présentent aux yeux de Ben Laden l’immense avantage d’avoir été éduqués dans un pays de l’Ouest et donc d’être au fait de la vie et de la culture occidentales. Contre tous les usages qui auraient voulu que seuls des djihadistes chevronnés soient choisis pour mener à bien le 11 septembre, ils les intègrent dans l’opération. Avec le recul, on s’aperçoit que l’apport du « contingent de Hambourg » s’est révélé crucial. Trois des pilotes (sur quatre) du 11 septembre (Mohamed Atta, Ziad Jarrah et Marwan al-Shehhi) en sont issus. De plus, l’architecte égyptien Mohamed Atta est un leader naturel dont Ben Laden apprécie immédiatement les capacités. Il en fait, sans hésiter, le responsable de l’opération sur le terrain. C’est Mohamed Atta qui va coordonner les quatre équipes déployées aux Etats-Unis et rendre compte, régulièrement, de l’avancement du projet à la direction d’al-Qaida. C’est à lui, encore, que reviendra la responsabilité de choisir la date de l’attaque. C’est, enfin, lui, aux commandes du vol 11 d’American Airlines, qui percutera la première tour du World Trade Center.

    Perdus en Amérique

    Le 15 janvier 2000, la première équipe, celle des vétérans du djihad, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, débarque à Los Angeles. Les deux hommes y restent environ deux semaines avant de s’installer à San Diego. Pourquoi la Californie ? Parce que cet Etat se trouve éloigné des cibles (situées à New York et Washington) choisies par les chefs d’al-Qaida.

    A la différence des étudiants de Hambourg, les anciens moudjahidine n’ont pratiquement aucune connaissance du monde occidental. C’est d’ailleurs la première fois qu’ils se rendent aux Etats-Unis. Ils ne bredouillent que quelques mots d’anglais… Pour s’en sortir, en accord avec Khalid Cheikh Mohammed, ils se font passer pour des étudiants saoudiens et s’adressent, en cette qualité, aux mosquées locales auxquelles ils demandent assistance. Il est alors fort probable que des complices leur soient venus en aide. De fait, autour des deux terroristes se constitue assez vite un groupe de jeunes musulmans (Yéménites et Saoudiens) qui leur sont proches idéologiquement et qui les aident, par exemple, à ouvrir un compte en banque ou bien à trouver un appartement et à compléter le contrat de location, ou encore à acheter une voiture…

    La priorité pour les deux hommes reste toutefois d’apprendre l’anglais, afin d’être en mesure de suivre des cours de pilotage, dès que possible. En dépit de leurs lacunes linguistiques, ils se présentent au Sorbi Flying Club de San Diego où l’un des instructeurs parle l’arabe. Le pilote leur explique alors que la formation doit commencer sur de petits avions de tourisme. Hazmi et Mihdar lui répondent qu’ils ne sont intéressés que par les gros-porteurs, les Boeing notamment, et lui demandent où ils pourraient débuter sur ce type d’avion immédiatement… Un autre instructeur avec lequel ils travailleront, décrira, après le 11 septembre, aux enquêteurs du FBI : des pauvres étudiants obnubilés par le contrôle de l’appareil en vol et qui ne prêtaient aucun intérêt aux phases de décollage et d’atterrissage…

    Au début du printemps 2000, il devient évident pour la direction d’al-Qaida que les deux hommes ne parviendront jamais à leurs fins. La barrière de la langue est insurmontable pour eux. Ils abandonnent alors les cours de pilotage et, même, toute prétention à apprendre l’anglais. En Afghanistan, du côté de Kandahar, on cherche un quatrième pilote…

    Vol 11 American Airlines, siège 8D

    C’est au début de l’été 2000 que le groupe de Hambourg pénètre aux Etats-Unis. Pour eux, ce sera la Floride. Mohamed Atta et ses camarades, comme prévu, trouvent aisément leurs marques. Dès le mois de juillet, ils poursuivent une formation intensive de pilote d’avion dans des écoles de Venice et Sarasota. En décembre de la même année, c’est-à-dire moins de six mois après leur arrivée, ils travaillent déjà sur des simulateurs de gros-porteur.

    Pendant ce temps, en Afghanistan, 13 hommes s’entraînent dans les camps d’al-Qaida. Ce sont les « gros bras » de l’opération. Ceux qui seront chargés de débouler dans le cockpit de l’appareil, de maîtriser d’abord les pilotes et le personnel de bord et, ensuite, le cas échéant, les passagers. Les futurs pirates de l’air ont tous juré fidélité à Oussama Ben Laden et, bien qu’ils ne connaissent pas encore les détails de l’opération à laquelle ils vont participer, se sont engagés auprès de lui à mourir en martyrs. Il faut avoir en tête que ces hommes n’arriveront aux Etats-Unis – et en ordre dispersé – qu’au printemps 2001. Pour les derniers d’entre eux, moins de trois mois avant le jour J.

    Bien que le 11 septembre soit un échec cinglant pour le renseignement américain, on mesure la difficulté pour ses agences (FBI, CIA). Les différents services de sécurité n’ont physiquement, face à eux, et pendant des mois, que cinq ou six terroristes, dont la moitié se trouve en Californie et l’autre en Floride. Des terroristes d’un genre inédit, puisqu’ils n’ont même pas cherché durant leur séjour à se doter d’armes ou d’explosifs.

    Plus l’on s’approche de la date fatidique, plus les informations remontent vers Washington et la Maison-Blanche, attestant qu’un attentat est imminent. Mais où ? Sur le sol américain, à l’étranger ? Comment concevoir qu’une poignée d’individus puisse réaliser un attentat aussi colossal que celui qui va survenir avec de vulgaires cutters à la main ? Comment imaginer, à l’heure où tous les signaux sont au rouge à Paris, Londres et Washington, que les moutons et les chameaux que des hommes égorgent, pour se faire la main, à Kandahar et Kaboul, figurent des passagers et des pilotes de ligne américains ?

    Quand le mardi 11 septembre, Mohamed Atta prend possession de son siège – le 8D – situé en classe affaire, sur le vol 11 d’American Airlines, il sait que toutes ses équipes sont en place. Il vient de parler au téléphone avec Marwan al-Shehhi qui se trouve dans le même aéroport que lui (Boston), mais sur un vol différend (le United Airlines 175). Ils sont tous deux accompagnés de quatre complices répartis à l’arrière des appareils, en classe économique. Atta sait aussi qu’au même moment, à Washington, l’équipe dirigée par le Saoudien Hani Hanjour – elle aussi composée de cinq hommes – s’apprête à monter à bord du vol American Airlines 77. Les trois avions sont à destination de Los Angeles. Enfin, à New York, à l’aéroport de Newark, ce sont quatre hommes, à la tête desquels se trouve son ami Ziad Jarrah, qui embarquent sur le vol 93 en direction de San Francisco. Le projet proposé, en 1996, à Oussama Ben Laden par Khalid Cheikh Mohammed va se concrétiser.

    (*) Rapport final de la commission nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis, rendu le 22 juillet 2004.

    Par Jean-Claude Galli

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